• Charles Gouvernet

    Exposition Galerie Madoura

Du 13 septembre 2018 au 18 janvier 2019
CHARLES GOUVERNET

L’atelier, lieu clos – closlieu

Si l’homme pouvait, de la même façon qu’il ressent l’art, faire l’expérience du monde, du monde concret qui l’entoure… il n’y aurait nul besoin d’art, d’artistes et autres éléments non-productifs.

Ces propos tenus en 1962 par Georges Maciunas, fondateur du mouvement Fluxus, sont aussi beaux que cinglants et s’avèreront aussi féconds en expériences esthétiques que destructeurs. Les avant-gardes des années 60 se positionnent alors, bien évidemment, dans une généalogie et une légitimité Duchampienne, remettant en cause l’aspect manuel, laborieux, du travail artistique. Le mouvement Fluxus invite alors à célébrer la vie en révélant les capacités créatrices de chacun. Joseph Beuys enfoncera, plus terriblement encore, le clou : « Chaque homme est un artiste ». Dès lors, une question se pose quant à la pertinence de l’acte de peindre et, puisque la création est partout
et que l’artiste n’exerce plus son activité dans un espace isolé, quant à la nécessité de ce lieu perçu alors comme un élément obsolète, daté et même sclérosant : l’atelier est censé, au mieux, être questionné, au pire, conceptualisé voire dématérialisé. Pour faire court, l’artiste est invité à le déserter au profit du monde. Il est perçu comme un lieu hermétique. L’époque est, pour le bien de tous, à la soif de liberté, aux changements et, de manière plus pathétique, aux « révolutions ». Ces dernières velléités induisent, inévitablement, quelques dérapages : diktats et tentations totalitaires auxquels n’échappent pas les domaines intellectuels et artistiques. Les révolutions ne portent pas seulement en elles un potentiel d’accélération des changements mais aussi des tentations de destruction aveugle. La formule « détruire-reconstruire » a ses limites. Ces transgressions passionnantes, riches de potentiel malgré tout, auront, nous nous en rendons compte aujourd’hui, la vie longue.

Des expériences des avant-gardes, il est surtout important de retenir que l’art a cette capacité de pouvoir émerger partout. Il le peut au sein des écoles que certains auront trop vite fait de suspecter de néo-académisme, de décadence en raison de leur supposé formalisme et abus de dialectique mais aussi au sein de parcours autodidactes, dans et hors des ateliers et quel que soit le choix du médium et des techniques aussi laborieuses qu’elles puissent être.

Depuis lors, il est malgré tout de bon ton de gloser sur la mort de la peinture et, mieux encore, depuis quelques temps – miracle – sur sa renaissance et de s’émerveiller sur la solitude de l’artiste peintre dans son atelier ou de catégoriser une certaine peinture forcément nouvelle en « familles » bien évidemment « recomposées ». Tout le
monde peut écrire sur la peinture bien sûr, l’effet de « manchette » est facile, mais tout le monde n’est pas, à l’évidence, critique d’art.

Ce lieu clos longtemps vilipendé et qui semble revenir en grâce, l’atelier du peintre, en l’occurrence de Charles Gouvernet, est justement accessible par un petit escalier au fond d’une cour du vieux quartier du Panier à Marseille. Il s’agit d’un lieu baigné d’une douce lumière méditerranéenne. A l’abri du monde et pourtant si singulièrement réceptif à ses soubresauts introspectifs et angoissés, il est le lieu où peindre – formuler et, enfin, tracer – se révèle dans l’évidence d’un acte naturel, vital et universel pour paraphraser Arno Stern dont l’expérience du « closlieu » vient étonnamment éclairer d’une autre manière cette « antre » de l’artiste. L’atelier, lieu clos – closlieu – donc pose la question des conditions nécessaires à l’émergence de la trace en tant qu’aboutissement de la formulation. Le « jeu
de peindre », à travers la spontanéité, la non-directivité via l’absence de consignes et le non-jugement, autorise justement de se laisser aller à des actes non induits par la raison. Il devient le pur moment, lié à un immense plaisir du « faire » pour soi comme « moi », pour soi comme « ensemble des pulsions inconscientes ». L’atelier, par sa permanence, sa stratification, et pour reprendre l’expression teintée d’ironie et d’humour de Charles Gouvernet par sa poussière qui n’est pas la même qu’ailleurs, réunit les conditions nécessaires permettant d’atteindre cet état de quiétude essentiel à l’émergence de cette formulation au service de l’être humain. La formulation est à considérer comme l’émanation de la mémoire organique, un code universel, un vocabulaire commun à tous les êtres humains et qui s’adresse à tous.

Nous sommes comme un livre dont les premières pages ont été arrachées et, quand on le lit, on commence quelque part mais pas à son commencement. Si on retrouve ces pages, on commence alors par le commencement. C’est ce qui arrive à la personne humaine par la formulation. Arno Stern

Inconscient et libre arbitre

Dans ce closlieu qu’est, aussi, l’atelier, l’artiste s’adonne à l’indicible en se libérant de tout ce qui vient à lui, de lui et tente de retrouver quelque chose qui lui est inconnu, qui lui a échappé de sa préhistoire personnelle mais aussi partagée, collective. Peindre, tracer, acte tellement humain est, chez Charles Gouvernet, d’une rare intelligence sensible. Il s’agit d’un besoin autant que d’une lutte permanente entre son propre libre arbitre et cet inconscient qui depuis l’élaboration de la psychanalyse par Freud est censé nous gouverner. La violence de cette lutte est perceptible dans cette manière qu’il a d’interroger ses gestes, de questionner ces « choses étranges » qui apparaissent sur la toile, la matière aussi et, au final, dans la puissance de ses œuvres, dans leur absence de concession. Leur totale liberté est induite par cette meilleure connaissance du « soi » même si son intégrité lui interdit toute tentative d’explication.

Charles Gouvernet ne cherche pas à communiquer. Il n’y a pas de construction d’un discours égocentré qui viendrait entacher l’acte de peindre qui est, chez lui, nous l’avons vu, toujours source de fascination et de questionnement. Il cherche simplement à partager, avec cette générosité qui le caractérise, cette expérience unique du commencement que la souvenance ne permet pas d’atteindre et ce bonheur du « faire », de peindre, de tracer. Si ses œuvres échappent à l’art contemporain en tant que genre et à ses paradigmes, elles participent pleinement de ce dernier en tant qu’art de notre temps. Un temps de l’humain, en ce sens qu’il ne cesse de questionner cette part de nous-même
qui se dérobe sans cesse à la trivialité de l’actualité tant et si bien qu’il est difficile de rester indifférent à ce mystère que l’artiste, humblement, ne s’autorise qu’à interroger.

Yves Peltier

EXPOSITION JUSQU’AU 18 JANVIER 2019
MADOURA, lieu d’art, d’histoire et de création
Rue Suzanne et Georges Ramié – Vallauris
Du lundi au vendredi, de 10h à 13h et de 14h à 17h
Entrée libre
Renseignements : 04 93 64 41 74

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