Entretien réalisé par Charles Juliet, en 2008, tiré du livre « Charles Gouvernet Se confier à la peinture »- Editions Muntaner. Charles Juliet est écrivain, auteur d‘une trentaine d’ouvrages dont l‘Année de l’éveil, récit sur sa vie d‘enfant de troupe, porté à l’écran.

1 Quel âge aviez vous quand la passion de la peinture s’est emparée de vous ?

Jeune, j’avais onze, douze ans. Mon voisin de banc à l’école primaire de Marseille avait une magnifique boîte de peinture à l’huile. Je la lui ai emprunté. Sur une feuille cartonnée, j’ai exécuté mon 1er “tableau” : une nature morte. Depuis, j’ai toujours eu un pinceau entre les doigts. La passion de la peinture s’est installée en moi plus tard dans les années 66/68, années après lesquelles, j’ai fait une exposition à Marseille.

2 Avez-vous longtemps tâtonné avant de vous trouver ? Avant de discerner ce que serait le monde que vous aviez à mettre au jour ?

Un autodidacte ne fait que tâtonner… en ayant l’espoir de se trouver un jour.
J’ai mis un temps infini à entrevoir ce mystère qu’est la peinture. Le doute est présent chaque jour dans mon atelier. Quarante ans plus tard, je n’ai aucune certitude, je discerne tout juste cet univers qui pourrait être le mien. J’observe mes toiles longuement. Elles restent dans l’atelier et j’essaie de reconstituer le fil de l’histoire.

3 Y-a-t-il des oeuvres – littéraires ou picturales – qui vous ont aidé à trouver votre chemin ? qui vous ont influencé ? qui vous ont accompagné ?

Il n’y avait pas de livres à la maison, la culture était inexistante quand j’étais adolescent. Mon père était absent, ma mère faisait des ménages pour nourrir ses enfants. Mais un miracle a eu lieu : les années 68, la culture dans la rue, l’avènement du livre de poche. J’avais toujours sur moi L’Histoire de l’art de Elie. Faure et L’Histoire de la peinture moderne de Herbert Read. Je me suis intéressé au mouvement surréaliste, Max Ernest et une de ses oeuvres “L’Europe après la pluie” G. de Chirico…, puis le mouvement expressionniste, Emil Nolde, Oscar Kokoschka… Elles m’ont aidé à trouver mon chemin… pas influencé… mais peut-être accompagné, peut-être… oui, accompagné.
J’ai également lu beaucoup de poésie, de Baudelaire à Mahmoud. Darwich, grand poète palestinien.

4 Avez-vous connu des périodes d’aridité ?

Oui, certaines plus déshydratées que d’autres.

5 Votre parcours s’est-il déroulé sans à-coup ? ou y–at-il eu des crises, des abandons, des virages ?

Mon parcours n’a rien de linéaire. Rupture, crise, dégoût, cassure, destruction, éloignement… Je ne me suis jamais intégré au milieu de l’art. Je suis un peu comme un étranger. Après chaque coupure, il faut remonter la pente, sortir la tête de l’eau, refaire le plein d’inconscient.
J’ai souvent dit que l’anonymat de mes travaux me rassure autant qu’il me fragilise.

6 Que vous a apporté la maturité ?

Une maturité m’est-elle lentement venue ? Je ne sais. Sans doute. Je ne sais toujours pas ce qu’est la plénitude. De même, je ne sais toujours pas pourquoi je suis artiste.

7 Que vous apporte la peinture ? que cherchez vous à travers l’acte de peindre ?

Des moments de noyade, d’indépendance, de doute, de liberté… Mais le combat est inégal. Il est bon de se remémorer ce que Char a écrit : “l’essentiel est toujours menacé par l’insignifiant”.
Je cherche à savoir qui je suis réellement. Il existe des oppositions dans mes travaux : composante charnelle et composante mystique, opacité et transparence et aussi tout ce qui se fait sur le support à mon insu.
Pour peindre son Saint Sebastien, Antonello Da Messina a été tour à tour complice du martyr et de l’arbalétrier.
Etre artiste peintre n’est pas un métier, pour moi c’est une profession de foi.
Mais n’avez vous pas dit, cher Charles Juliet, qu’un artiste n’a rien à attendre des autres et que s’il est peintre, personne ne lui a demandé de peindre.
La peinture est un instrument de recherche. La cohabitation du trait, de la couleur et de la matière. Je n’ai jamais aimé les effets de couleurs ou les effets de matière. Je préfère parler de non-couleur et non-matière. Voilà pourquoi je rationne. J’aime travailler à l’économie et je déteste le charme en peinture.

8 Quand vous jetez un regard rétrospectif sur ce que avez accompli, qu’éprouvez-vous ?

Quand toute l’histoire sera reconstituée (quand les années d’atelier seront mises côte à côte et qu’il y aura un autre regard) , je suis sûr que mes travaux trouveront leur place. Je dois être encore patient, c’est tout.
Je n’ai pas assez travaillé, j’ai peu produit (par manque de facilité et d’aisance). Il a des artistes qui paraît-il travaillent pour des princes, moi c’est pour la Cour des Miracles.

9 Avez-vous regretté parfois d’avoir choisi la voie où vous avez engagé votre vie ? mais il y a t-il un choix ?

Effectivement, y a-t-il eu un choix ? Je n’ai jamais voulu devenir artiste et je n’avais rien pour l’être, ça m’est tombé dessus. Non, je ne regrette pas d’avoir choisi la voie où effectivement j’ai engagé ma vie. Je suis certain que cette voie m’était imposée.
Je cherche à dresser un fil transparent contre toute disparition. Pour dire aux miens que j’ai existé. En ce sens, comme parfois l’écrivain ou le cinéaste, j’ai un travail autobiographique.

10 Votre besoin de peindre est-il moins ou plus intense qu’au début de votre parcours ? Comment voyez-vous les années à venir ?

Le besoin est le même. Chaque jour, je peins, chaque jour, je me demande où ça va aller.

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